Un cas somme toute assez classique… Un passage dans les tunnels des Mèdes où je me suis laissé entrainer au-delà de la zone de lumière naturelle et j’ ai été balloté par la houle qui s’était brusquement levée, ou l’expérience lors du même stage d’une cavité pourtant bien ouverte dans les falaises d’Estartit où je me suis senti nettement moins fier à 30 m de l’ouverture béante et largement visible avec brusquement l’interrogation sur ce qui pourrait bien flancher... Ajoutons à cela une entrée dans une épave réputée facile où mon partenaire de palanquée a produit une belle touille en trois coups de palmes. Il est venu me rechercher et nous avons tâtonnés sur 3 mètres pourretrouver la sortie. Prendre mettre un peu de plomb dans la cervelle est un parcours d’obstacles mais de là à les provoquer… Bref, les cavités ce n’est par pour moi. Pour ceux qui connaissent, je ne suis jamais rentré dans la cabane de l’artificier de la carrière de Bécon où je plonge régulièrement.
Et puis les années passent, l’expérience s’accumule avec les prérogatives. J’ai aujourd’hui la cinquantaine bien établie, ai effectué environ 800 plongées depuis mes débuts en 97 et suis devenu adepte du trimix et du recycleur allant jusqu’au monitorat dans ces deux disciplines. J’apprécie les caractères de redondance et de planification de ce type de plongées. Il faut ajouter que je plonge habituellement en carrière, le nez dans la vase par 50m, à la lueur des phares dans une eau où la visibilité peut nous laisser parfois la latitude de lire tout juste nos instruments. Autre point de détail je rentre dans le 3XL mais il ne faudrait pas beaucoup plus pour l’exploser! Je reste un plongeur moyen, sans rechercher les exploits dont le web est plein d’échos. Pas l’âge ni la forme physique. Ma consommation d’air, sans être exceptionnelle, est plutôt plus réduite que la moyenne.
Fort de ce
parcours, j’ai néanmoins accepté de répondre à une invitation faite au président
de notre club d’effectuer une plongée découverte à la Fontaine de Vaucluse.
Recycleur et trimix pour une 60 m bien appuyée. C’est large, grandiose même,
minéral au sens épuré du terme. 50 minutes trop courtes, les yeux grands ouverts
comme l’enfant qui découvre le sapin. Merci Serge.
Alors pourquoi ne pas continuer ? Je prends contact avec les différentes fédérations et
toutes répondent avec force détails sur les possibilités de stages et m’aident à
organiser ce qui semble le plus adapté compte tenu de mon éloignement
géographique. Le contact est chaleureux, on sent des passionnés, loin des
caverneux bougons décrits parfois avec humour sur la toile. Le choix s’est porté
sur un stage d’initiation organisé par la FFS à la source de la Douix. Je me
précipite sur le net à la recherche d’infos et découvre qu’il y a des
étroitures. Les comptes-rendus mentionnent une légère poussée de l’instructeur
pour aider à passer la première et la nécessité d’une certaine souplesse pour
passer la seconde. Il va me falloir un sérieux coup de tatane et comme je suis
souple comme un verre de lampe…Je mentionne le 3XL dans un courriel ; pas
de réaction, on verra…
Je prépare le matériel et teste la configuration. J’ai toujours eu le sentiment en plongée de
n’avoir que deux mains et il va me falloir en affecter une au suivi du fil. Je
m’emmêle les pinceaux avec les changements de détendeurs, vois 10 bar fuser
comme un rien et finis par trouver un compromis. Je recherche les passages
étroits et y passe tout doucement. J’apprends ainsi la marche arrière et prend
le risque de me voir affubler du sobriquet d’écrevisse. Un moment épique est
aussi la tentative de décapelage où je me suis retrouvé les pieds en l’air,
l’étanche gonflée, le bloc en bas et le tout relié par le détendeur en bouche.
Mon compagnon de palanquée en a bu la tasse. Le véritable danger était là. La
dignité en prend un coup! Enfin je suis prêt.
Par une belle journée de début d’automne, me voilà à pied d’œuvre. Plongée dans la Seine toute proche, fleuve majestueux de 3 m de large dont on voit le fond sous un mètre d’eau claire. Suivi du fil avec retour dans la touille que j’ai soulevée à l’aller. Je passe les points d’ancrage à tâtons mais cela reste facile à gérer. |
Les choses commencent à devenir sérieuses, voire à se gâter lors de l’inspection du matériel sur la bête. Tout ce qui est accroché à la ceinture passe sur le coté ou est éliminé. « Tes détendeurs sont trop lâches et vont s’accrocher » a le don de me « rassurer » ! Vient ensuite la pose du scotch sur mes fixations de bloc qui pourraient se défaire en frottant. La pression monte ! Et enfin, juste avant l’immersion la petite phrase de l’instructeur doté d’une silhouette de haricot vert et qui me dit « avec ton volume, il va falloir passer à ras du sol, expirer et rentrer le ventre » en rajoute une couche.
Immersion. L’eau est claire et je retrouve l’ambiance pleine de nuances bleutée de la Fontaine. Je suis le fil, attentif et concentré, suis les instructions au passage de l’étroiture, sans un peu de résistance au niveau du haut du bloc et puisj' ai la sensation d’une glisse facile, comme une expulsion en douceur. C’est plus facile qu’anticipé ! Tout va pour le mieux.
Trois coups de palmes m’amènent au centre de la salle des vaguelettes, claire, large et haute de quelques mètres et là, d’un coup, comme une déferlante, la question « mais qu’est ce que je suis bien venu faire ici ? » Une vieille angoisse m’assaille. Du calme, respire à fond, ne t’essouffle pas, tu as de la marge et de la redondance, tu es passé à l’aise, tout va bien…
Facile à dire. Le rationnel rassure mais la tripe reste nouée. Je ne suis pas claustro mais cela y ressemble. Rien de très aigu mais juste la sensation de se retrouver dans un étau. Jugez en plutôt. Je reprends ma progression, tâtonne dans mon équilibrage, gonfle au lieu de vider mon inflateur, compense à la palme plutôt qu’au poumon-ballast, bref les vieux défauts d’avant le niveau II qui ressurgissent. Aussi, une consommation de débutant !
L'alternance les détendeurs m’occupe à plein temps. Passage devant le trou du Hibou qui porte bien son nom. Il me faudra passer là dedans. Nous émergeons dans une cloche, je souffle comme un phoque. Quelques mots échangés. « Tu ne t’es pas beaucoup occupé de moi » m’interpelle. Comme si j’en avais eu le loisir ! Le cinquième de ma réserve en air ayant été consommé, nous entamons le retour. Je passe devant une discontinuité du fil d’Ariane comblée avec le fil de mon dévidoir ! Je n’ai rien vu, rien senti, rien fait, même pas vu que je franchissais un passage à vide. Je ne me suis effectivement pas occupé de lui ! |
Le retour se fait d’un palmage allègre, petit arrêt au plafond du laminoir dans une petite cloche d’air sous pression, franchissement du passage étroit sans accroche. Extinction des lampes pour contempler la lumière du jour depuis le fond de la faille. Et là, comme un changement de diapo, le rideau se lève, l’esprit se libère.
Au fait j’ai des paramètres ; cap, profondeur, temps, température de l’eau me sont passés complètement à coté . Je les consulte pour la première fois ! Et pourtant la pratique du recycleur m’a accoutumé aux vérifications périodiques. L’appareil photo jetable que j’avais mis dans une poche de combinaison est simplement oublié.
Sortie au jour et nos conversations prennent une tournure banale, comme si rien ne s’était passé, un peu honteux de ce coup de frayeur. La logistique du gonflage des blocs occupe nos esprits. Ayant deux instructeurs pour trois élèves, nous enchainons rapidement avec une deuxième plongée.
Passage du trou du Hibou au programme !
Le trajet aller se fait sans problème. La respiration s’accélère cependant dans la salle des vaguelettes. Exercice de déroulage du fil qui me fait progresser en zig-zag ; ne pas s’emmêler. L’eau est claire, la roche blanche comme du marbre et le jeu des lumières en nuances de bleus et blancs est fantastique. Je me retourne et vois un nuage de boue dont les volutes cherchent à me rattraper ! J’en ai l’impression et pourtant j’en suis l’auteur et je nage à contre-courant donc aucun risque ! Ce n’est qu’après que j’en ferai l’analyse ! Accrochage du fil sur une bifurcation, passage par-dessus un ensemble de rochers que je ne reconnais pas- et pour cause il y a deux passages et je le découvrirai après- et j’arrive devant le trou du Hibou.
Imaginez une fenêtre circulaire comme un œil de bœuf dans un mur épais d’une quarantaine de centimètres et qui donne sur un corridor dont le fond est un amas de rochers. En suivant ce corridor, l’amas présente une ouverture en trapèze environ un mètre plus loin. Je me présente, tape au niveau des détendeurs, souffle, m’abaisse et tout passe. Même sentiment de fluidité que pour le passage précédent. Mon enthousiasme est vite arrêté par le mur. Un virage à droite suivi d’un à gauche en se tournant, blocs sur le coté, me permet de passer le trapèze de l‘ouverture. Ouf passé ! Il va falloir réitérer dans l’autre sens ! Un coup d’œil au mano. |
Le franchissement m’a coûté 10 bar. Je me suis laissé complètement aller. Pourtant
j’avais l’esprit occupé et curieusement plus du tout le sentiment d’oppression.
Ce n’est qu’après le passage, l’esprit une fois libéré, que le niveau d’angoisse
est remonté, comme l’eau dans un puits. Je signale que j’ai atteint le niveau du
demi-tour et le passage est facile.
Je prends conscience de l’importance du positionnement des épaules et du haut du bloc.
Après le reste passe à condition de ne rien laisser trainer comme les dévidoirs,
mano, ou autres accessoires. Je commence à m’occuper de mon partenaire, regarde
mes instruments. L’appareil photo reste néanmoins oublié au fond de la poche. Le
rembobinage du fil déroulé à l’aller est rapide, l’eau s’est éclaircie sans
devenir limpide. Je commence à retrouver la conscience et la maîtrise de ma
respiration. Je termine en prenant mon temps.
Rangement du matériel. Gentil houspillage de l’instructeur dont j’ai tordu le dévidoir
–comment ? probablement en passant l’étroiture- et dont je tarde à rembobiner le fil. Il me faut descendre
de mon nuage ou plutôt remonter les pieds sur terre.
Les échanges d’impressions sont un peu crispés et la discussion dérive rapidement sur la
plongée en général, le Tek…
Je me rends compte maintenant de la prévenance et de la pudeur de nos instructeurs qui nous
laissent digérer ce vécu. L’endormissement est facile. Les décharges
d’adrénaline fatiguent.
Le réveil est un peu anxieux. Je l’ai fait, je l’ai géré mais le plaisir est quasi nul. Je vais tenter aujourd’hui de répondre à la question du « à quoi
bon ? ».
Je m’immerge et retrouve mes repères. D’une main je tiens le fil, de l’autre le phare et de la troisième - si si – l’appareil photo dont il faut encore trouver le déclencheur.
Le mitraillage se limitera à une demi-douzaine dont le résultat et le cadrage restent à découvrir. Les jeux de lumières sont fantastiques. Le trou du Hibou se
passe avec les réajustements nécessaires. Je n’ai pas encore le compas dans l’œil. Après le passage, il me reste la moitié de l’air alloué au trajet aller.
Progression d’une centaine de mètres en évitant de soulever le sol plus gravillonaire.
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Coup d’œil au
mano, puis re-coup d’œil. Ils ne baissent pratiquement pas. Nous sommes à une
profondeur de 10 m. Le passage est quand même long. Le marquage des distances
sur le fil me rassure. On arrive au fond marqué par un éboulement. Le fil part
vers le haut.
Il y a une bifurcation vers un passage en retour, plus étroit, parallèle à la galerie que
je viens d’emprunter. Il me reste un tiers de l’air alloué pour l’aller. Mon
objectif est atteint, je suis bien mais quand même pas en état de faire du zèle.
Le peu d’aisance retrouvée reste fragile. Retour tranquille. Je ne suis pas
pressé et veux faire le plein d’images et d’impressions. Les effets de lumières
dans cette partie sont moins riches. Nous sommes déjà arrivés sur l’envers du
trou du Hibou. Je m’engage tout droit. Cela bloque. Je recule et un peu
d’observation me fait me décaler, onduler à gauche avant de suivre la paroi sur
la droite et franchir le trou proprement dit. Je suis serein. Un peu
d’observation et de patience m’ont permis de trouver la clé. Ce n’est plus une
libération mais l’accès à une solution. Je poursuis mon retour, le cœur en fête.
Je n’ai jamais été aussi heureux de terminer une plongée avec encore 150 bar
dans mes blocs…
Déjeuner champêtre. Les langues se délient. Nous avons bien tous vécus la même chose : les doutes, les angoisses, le petit vélo qui tourne dans la tête
pour citer un autre stagiaire, le plaisir de réussir à prendre sur soi, la découverte du chemin qui reste à parcourir. Les étroitures ne sont ici en fait
qu’un révélateur.
La source de la Douix est compacte mais pleine de variété et riche de morphologies différentes, les jeux de lumières y sont fantastiques et l’eau redevient claire très
rapidement. L’encadrement est compétent, attentif et pédagogue et l’aventure d’une richesse inouïe.
La réflexion m’amène d’ailleurs à apprécier aujourd’hui pleinement l’attitude des instructeurs qui il est vrai fût un peu stressante. En épurant ce qui pouvait présenter des
handicaps et en me laissant par moi-même découvrir les solutions adaptées à ma conformation – et il parait qu’il y avait une grosse marge - ils ont pu me
laisser construire la gestion de mon ressenti. Pour tout cela, merci Philippe et Christophe.
Nous avons tous amélioré notre niveau de conscience d’un environnement nouveau à l’adaptation duquel le comportement ne s’improvise pas.
C’est ce consensus dans l’expérience vécue qui m’a incité à écrire ces quelques lignes pour vous inciter, amis plongeurs qui passez souvent en dessous des 40m, à faire
ce genre de stage, même si la plongée souterraine ne devient pas votre tasse de thé.
Vous ne plongerez plus comme avant.
Dans l’attente, emportez du gaz et encore du gaz. Au lieu de prendre du plomb, prenez une pony. Un dérapage est si vite arrivé.
N.B: Les photos sont une compilation de ce que l’on trouve sur le net.
Angers, le 29 septembre 2009, Jean Pierre Dutilleul-Francoeur MF1 Aqua O2 Bécon (49)